(Swans - 28 Mars 2011) "L'enfer des hommes n'est pas quelque chose à venir; s'il y en a un, c'est celui qui est déjà ici, l'enfer que nous vivons tous les jours, que nous engendrons tous ensemble. Il y a deux moyens pour ne pas en souffrir. Le premier, le plus simple pour beaucoup de gens: accepter l'enfer en s'y intégrant sans le voir. Le second, périlleux, qui nécessite sans cesse de l'attention et de la connaissance : rechercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l'enfer, n'est pas l'enfer, et le laisser persister en lui donnant de la place". (I. Calvino, Le città invisibili, [Les villes invisibles], 1972.)
À quoi bon Italo Calvino? Ma réponse selon les mots de l'auteur dans Leçons americaines (Lezioni americane, 1988): "[...] j'ai pensé à une littérature universelle sans aucune distinction de langue et de caractère national, et à voir le passé en fonction de l'avenir". Et la "Bibliothèque Totale" de Borges, qu'influence la plupart de son œuvre, se remplit avec des associations de textes différents et les échos de la mémoire de beaucoup de livres déjà lus, (car il y a beaucoup d'auteurs, du monde classique au monde contemporain, qui ont influncé sa pensée). Les idées, le mot-image deviennent dans son écriture la Légèreté, la Rapidité, l'Exactitude, la Visibilité, la Multiplicité; elles sont des règles "cosmiques," universelles, pour ce que Calvino identifie comme le texte littéraire.
Mon article est une "avant-première" au cycle d'Italo Calvino (1923-1985), dans la tentative de retrouver (le but de mes prochaines articles) à travers l'analyse de quelque unes de ses œuvres (la production littéraire et d'essais de l'auteur est assez large) l'actualité de sa pensée d'homme - écrivain, intellectuel et militant politique communiste (il donne sa démission au PCI en 1957) du xxème siècle. "Quand le train me reconduisait en Italie, quand je dépassais la frontière, je me demandais: mais ici, en Italie, dans cette Italie, que pourrais-je être sinon communiste ? Voilà, maintenant que le dégel, la fin du stalinisme nous allégeaient d'un poids le cœur : et notre morale et notre personnalité dédoublées enfin se recomposaient ; enfin, la révolution et la verité coïncidaient. Dans ces jours, ceci était le rêve et l'espoir de beaucoup d'entre nous." ("Repubblica", 1980)
Mais Calvino, pour son passé politique aussi, est un voyageur visionnaire, attentif aux équilibres de la raison et de l'imagination dans la relation constante avec le cosmos. L'observateur devient l'objet observé et vice versa, à travers des regards croisés entre le sujet-personne et le cosmos.
Voilà ce que Calvino écrit en montrant un monde-artichaut : "la réalité du monde apparaît, à nos yeux, multiple, épineuse par couches drues superposées. Tel un artichaut. Ce qui compte dans l'œuvre littéraire est la chance de la dépouiller tel un artichaut infini" (I. Calvino, Il mondo è un carciofo, 1963). Et la métaphore de l'artichaut, dans la tentative d'expliquer le sens de l'œuvre littéraire, propose la recherche infinie, comme appartenance au monde avec des projections d'images possibles, non prédéfinies. "Aujourd'hui - souligne l'auteur dans ses Leçons américaines - nous sommes bombardés par nombre d'images, [en devenant aveugles et impuissants à] reconnaître l'expérience directe ou celle rapide de la télévision". La littérature se montre, donc, comme un "défi"; elle donne la clef de lecture au labyrinthe-société sans issue définitive. "Ajouter" et "ôter" sans cesse, donne la clef pour un imaginaire tout neuf: "l'aptitude à focaliser des visions, les yeux fermés [...] à aligner les caractères alphabétiques noirs sur la page blanche, à penser par images".
Et la rêverie ne se détache jamais du voyageur visionnaire qui observe la réalité. Et si "les villes sont l'ensemble de beaucoup de choses : la mémoire, les désirs, les signes d'un language, les lieux d'échange [...] les villes invisibles sont un rêve qui naît du coeur de villes invivables, les villes du néo-capitalisme".
S'éloigner en se trouvant liés aux faits ; le binôme littérature/société utilise l'élément anthropologique supporté par les mots.
Le monde qui vole en éclats est le monde de la différence (cueillie par la même littérature) qui se reflète dans les "coins" du multiforme "cristal", une constante géométrique, dans la pensée de Calvino, explicative de nombreux "pans" de la même unité.
C'est l'homme de la crise de la Nature et de la Société qui écrit : "Aujourd'hui on parle, avec insistance, aussi bien de la destruction de l'environnement que de la fragilité de grands systèmes technologiques, qui peuvent provoquer des dégâts en chaîne, en paralysant les métropoles entières" (I. Calvino, Les villes invisibles).
Rien de plus actuel, malheureusement pour nous! Et Calvino, homme du XX siècle (son engagement politique, au dehors et au dedans du parti, a détaillé toute sa vie) presque un "voyant", dit :
"À cheval sur notre seau, nous avancerons vers un nouveau millénaire sans l'espoir d'y trouver rien de plus de ce que nous pourrons y amener" (I. Calvino, Leçons américaines).
Dans le voyage de l'écriture, Calvino ouvre une lueur, entre la vision et la légèreté, pour des mondes possibles et hypothétiques; ils sont autant que les livres écrits ou non; de même "les villes heureuses se forment et se disparaissent sans cesse, cachées dans les villes malheureuses" (I. Calvino, Les villes invisibles).
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Francesca Saieva est née en 1972 et vit à Palerme, Sicile, où elle enseigne la philosophie et la pédagogie. (back)